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Journées internationales de recherche et de pratique en pédagogie instrumentale et vocale

 

Journées internationales de recherche et de pratique en pédagogie instrumentale et vocale, France - Québec - Suisse. Organisées par le CEFEDEM Sud et l'Institut supérieur de la musique euro-Méditerranée, 12 et 13 février 2016, Aix-en-Provence.

24 février 2016, par Flore Estang ——

Consacrées aux nouvelles technologies appliquées à l'éducation musicale, deux journées intenses ont permis au public passionné de découvrir certains derniers outils numériques permettant de joindre l'utile à l'agréable pour soutenir l'enseignement instrumental et la formation auditive. Réalisé et organisé par une équipe francophone (Québec, Suisse et France), le colloque permit, outre les communications variées (un compositeur iranien, des universitaires, des formateurs pour les enseignants, des professeurs de musique en collège), de pratiquer lors d'ateliers partageant le public en plusieurs groupes et d'échanger lors d'une discussion animée en fin de colloque.

Au-delà de la présentation concrète des outils numériques, applications diverses sur IPAD, IPOD, IPHONE et autres supports, la réflexion sous-jacente à toutes les communications est le rôle des nouvelles technologies dans l'enseignement de la musique (instrumentale ou générale). Doit-on faire entrer le quotidien des élèves (5 heures quotidiennes sur internet en moyenne) dans le système éducatif, sous prétexte de les éduquer en s'amusant ? Les cours de musique ne sont-ils pas l'un des derniers bastions dans lesquels les jeunes peuvent acquérir des techniques d'expression et un travail sur la réception des musiques de tout style aboutissant à une réelle connaissance d'un répertoire et un goût pour les musiques moins « à la mode » ?

Les enseignants de collège présentant leurs applications, qu'ils ont parfois créées eux-mêmes (César Guigue par exemple), expliquent l'évolution de leur réflexion, partant d'un constat : l'échec de l'entraînement personnel de l'élève. Sans aide à la maison, l'élève de collège ne possède pas l'autonomie nécessaire, ni le goût, ni l'envie, pour l'entraînement quotidien indispensable à sa progression. Partant du même constat, les enseignants en conservatoire et en université cherchent des moyens ludiques pour inciter les étudiants et élèves dont ils ont la charge à l'entraînement intensif, mais sans effort, avec une dimension « accro » qui incite l'apprenant à vouloir continuer.

Avec une équipe de techniciens et de musiciens, le Professeur Francis Dubé (Université Laval-Québec) a conçu un logiciel pour l'apprentissage du violon, dédié aux 7-10 ans : présenté comme un jeu vidéo, inspiré de la saga Star Wars, le jeu consiste à visualiser une rivière (sur laquelle quatre chemins virtuels sont tracés, figurant les cordes du violon), les pierres sur lesquelles le personnage (un petit garçon) doit sauter à chaque note jouée, les poissons qui sautent de l'eau, selon une pulsation déterminée, et le final combat avec le monstre, le tout agrémenté de récompenses et d'étapes à franchir. Jouer du violon à la maison devient donc non un exercice rébarbatif, mais un jeu essentiellement visuel, permettant à l'enfant se s'entraîner quotidiennement de manière autonome. La communication du chercheur est présentée avec une grande rigueur scientifique, et la démonstration est convaincante, excepté quelques réserves.

En effet, parmi les nombreuses questions posées par ce procédé : dans quelle mesure le caractère visuel du jeu ne prend-il pas le pas sur les compétences auditives et les sensations proprioceptives ? Dans un monde où les compétences visuelles sont de plus en plus requises pour les enfants dès leur plus jeune âge, dans lequel les compétences auditives sont de moins en moins sollicitées (télévision au volume sonore élevé à la maison, bruit important dans tous les lieux publics, casques pour MP3 généralisés de plus en plus tôt et intensément, perte d'audition de plus en plus fréquente chez les enfants de plus en plus jeunes), le jeu proposé n'est-il pas, finalement, contre-productif par rapport au but de l'enseignement musical, à savoir aider l'enfant à devenir un bon musicien et/ou un bon mélomane ? Cependant, le jeu inventé par le chercheur a le mérite d'encourager les processus kinesthésiques de l'instrumentiste, le jeune violoniste jouant directement avec son instrument, et non avec des manettes ou autres claviers d'ordinateur ou de téléphone. Mais l'élève en a-t-il conscience ? On sait tous que devant l'ordinateur, l'on perd la notion de temps, malgré les nombreux conseils connus de tous (s'arrêter toutes les heures, changer de position, marcher, bouger régulièrement). Les nouvelles technologies appliquées à l'enseignement de l'instrument ne vont-elles pas dans le sens d'une déshumanisation de l'activité artistique, dont l'étude d'un instrument étant resté jusqu'à nos jours l'un des derniers bastions.

César Guigue rétorquera, avec Maria Teresa Moreno, Québécoise d'adoption venue d'Espagne,  que, tant qu'à passer 5 h quotidiennes sur internet, autant que cela soit fait pour l'apprentissage musical. Mais est-ce vraiment de l'apprentissage musical dans ce cas? Les intervenants sont unanimes : le jeu proposé ne peut remplacer le professeur et l'éducation musicale en présentiel. Mais pourquoi ? Il convient donc de revenir aux définitions premières : qu'est-ce que la musique ? Qu'est-ce que l'éducation musicale ? Quel est son but ? En quoi l'apprentissage musical « en présentiel » diffère-t-il de l'apprentissage de l'instrument par jeu vidéo ?

Quelques pistes de réponses sont données durant ce colloque : principalement organisé autour d'une composante ludique imposée par une machine, le jeu avec violon ne prend pas en compte l'aspect créatif de la pratique musicale, en tout cas dans les premières leçons pour débutants montrées par le chercheur. Les études comparant les progrès musicaux d'un enfant avec jeu et sans jeu n'ayant pas encore été effectuées, le projet du logiciel étant lui-même encore à son balbutiement, personne ne peut dire, à ce jour, si le jeu proposé sera bénéfique ou non au futur musicien pour en faire un mélomane averti ou un instrumentiste accompli. Par  l'apprentissage d'un instrument de musique, veut-on former des praticiens ayant des réflexes ou des musiciens? L'entraînement à la maison pour l'apprenti musicien consiste-t-il à répéter mécaniquement des exercices ou à approfondir son sens de la musique par un travail personnel intérieur et indépendant de tout support électronique ? Le jeune apprenti peut-il faire autre chose que de la répétition mécanique grâce au jeu proposé ? Doit-on ignorer les motivations personnelles de l'élève et de sa famille pour la musique, le sens de l'effort, la récompense du résultat obtenu ?

Toujours en rapport avec ce questionnement de fond sur l'essence de l'apprentissage musical, la violoniste Anne Manach s'est lancée, pour son mémoire de Master, dans une recherche comparée entre les sites internet proposant de  l'enseignement instrumental à distance. Elle a concentré sa recherche sur le violon et le piano. Les sites consultés présentent leurs cours comme l'idéal, puisque le client potentiel peut accéder à la connaissance d'un instrument « quand il veut, à la fréquence désirée, en respectant son rythme d'apprentissage ». Sans avoir construit sa problématique autour d'un questionnement scientifique précis, la communicante fournit cependant de nombreuses pistes de réflexion sur ce domaine non encore investi par la recherche. Entre publicité mensongère et réel apprentissage, le tri est difficile à effectuer parmi les nombreux sites commerciaux proposant de l'enseignement instrumental par internet.

Parallèlement à l'évolution des nouvelles technologies de communication, l'EAD, instaurée depuis plusieurs années à l'Éducation nationale en France, répond à un cahier de charges bien précis. Il s'agit d'un aller et retour permanent entre apprenant et enseignant, l'élève ne pouvant, pour des raisons variées, se déplacer pour suivre des cours. Les technologies d'internet sont heureusement requises, avec SKYPE, pour toutes les disciplines exigeant un savoir intellectuel et une démarche analytique et informative. L'évaluation peut se faire également par écrit et oralement. Mais pour l'apprentissage de la musique, le refus est toujours vif de la part des formateurs, considérant que la pratique musicale ne peut s'enseigner correctement à distance. Ainsi, Anne Manach, elle-même violoniste, constate que la respiration, l'un des aspects essentiels de la pratique instrumentale, ne peut s'enseigner efficacement qu'en présentiel. L'EAD prend tout son sens dans des contrées isolées où les habitants n'ont pas accès à l'enseignement musical, tels les Inuits du Canada, pour qui un projet d'enseignement musical à distance a été organisé avec succès, d'après Anne Manach.

César Guigue est formel : d'après les des entreprises, trois clics maximum sont requis pour donner au public une appétence envers un site. Au-delà, le public ne va pas jusqu'au bout et se dirige vers d'autres sites plus « appétants » (sic). Pour la réussite de l'entreprise, il est donc nécessaire d'envisager des outils d'une importante facilité de manipulation, à l'identique des sites consultés régulièrement par le jeune public. Le jeune enseignant ne précise pas la proportion de jeu vidéo dans ses cours ni les progrès musicaux des élèves. Il constate juste un engouement des élèves pour le côté technique du matériel présenté, ils ne veulent pas quitter la classe, ce qui est logique puisque l'addiction aux appareils électroniques est déjà bien implantée dans leurs jeunes têtes.

L'atelier d'Isabelle Heroux et Fabrice Dubé (Québec) propose ensuite aux participants un jeu avec l'application MAD PAD : à partir de douze sons enregistrés et associés à une photo d'écran, les participants inventent une musique faite de bruits divers. La plupart des groupes vont choisir un ostinato, sur lequel ils varient les motifs, selon leur imagination. Les binômes (un écran pour deux) s'éparpillent dans le bâtiment à la recherche de matériau acoustique. L'activité est ludique, permet une communication créative intense avec son partenaire, et mobilise les compétences des participants. Mais ces exercices sont proposés depuis de nombreuses années aux étudiants futurs professeurs des écoles, en IUFM devenues ESPE. Le principe musical est identique, ayant pour but la création d'un objet sonore organisé appelé musique. La seule différence est le support, plus séduisant, mais sans trace réelle d'écriture des acteurs du jeu. La suite de l'activité peut être la création d'un enchaînement visuel figurant la partition de ce qui vient d'être créé. Mais le support numérique ne permet pas cela. Retour au crayon papier… D'autre part, si ce jeu mobilise les possibilités créatives des participants, il utilise surtout les compétences de chaque personne sans lui apporter davantage de connaissances en création musicale. Les compétences acquises par ce travail sont d'un autre ordre (convivialité, échange, participation active, motivation par l'aspect ludique et collectif).  Il devrait donc donner suite à un véritable travail sur les compétences à acquérir pour ces créations, hors numérique. L'atelier ne propose pas ce genre de projet.

Dans une brillante communication à trois têtes, le trio de chercheurs québécois a présenté les études en cours sur le sujet à l'Université de Laval (Québec) et reposé les questions justifiant ces investissements de temps et de moyens matériels en faveur du numérique dans l'enseignement musical. Comme l'exprime Noémie L. Robidas, « dans quel cas est-on dans l'occupation ludique de l'élève au détriment du « vrai » sens de la musique », celui-ci devant être redéfini pour chaque situation donnée. Les questionnements soulevés lors de la réunion plénière finale montrent que, toutes générations confondues, les interrogations et les craintes sont bien réelles, face à l'utilité du numérique dans l'apprentissage musical et à l'enseignement musical en général. Pascal Terrien, professeur au CNSM et Maître de conférences l'Université d'Aix-Marseille, rappelle l'ouvrage de Laurent Guirard « Abandonner la musique ». On constate, en conservatoire, une chute des inscriptions à la fin de l'école primaire puis avant le lycée. L'ARIAM, représentée par Jean-Claire Vançon, rappelle qu'elle propose, sous forme de stages en formation continue, une notion d'apprentissage global instrument et formation musicale.

D'après César Guigue, « Ce qui est modifié [avec les nouvelles technologies pendant les cours], c'est le véhicule de transmission ». Mais une enseignante de Saint-Raphaëlle met en garde : « Le véhicule peut changer notre manière de penser ». C. Guigue constate, au collège, un changement de posture de l'enseignant, évitant la sempiternelle posture frontale face aux élèves.

Les étudiants préparant le DE instrumental, nombreux à assister au colloque, sont directement concernés. On pourrait les croire passionnés et enthousiastes par les nouvelles technologies. Ils sont parfois très sceptiques : « N'est-ce pas un danger par rapport à l'essence même de la musique ?» demande une jeune étudiante. Son camarade constate : « C'est l'utilisation qu'on en fait qui est importante. Ce n'est pas l'essence ». D'après Marjolaine, « l'écran n'est pas la panacée ». D'après sa camarade, les nombreuses heures passées devant l'écran sont le résultat d'un manque d'intérêt des élèves pour l'enseignement qu'on leur fournit dans leur scolarité. « On est curieux et on nous prend pour des crétins ». Mais ils n'ont pas oublié de réfléchir par eux-mêmes et l'avenir semble assuré avec ces jeunes stagiaires musiciens de talent, qui ont offert au public du colloque un concert enjoué et de qualité, avec musique de chambre de virtuoses et grands ensembles rythmés d'Amérique latine. Les communicants, lors de ces journées intenses, ont encouragé les jeunes musiciens à, eux aussi, se lancer dans la recherche sur l'intérêt de l'apprentissage de la musique avec les nouvelles technologies numériques. Les questions fusent : quelle est la proportion du cours dévolue à l'enseignement par le numérique ? Comment évaluer les élèves avec ces nouveaux outils ? Les futures études musicologiques procureront sans doute des pistes de réponses à ces sujets complexes.

plumeFlore Estang
24 février 2016

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